Le défilé Gucci, en clôture de la Fashion Week de Milan, a été émaillé par un incident peu courant : la protestation d’un mannequin contre des vêtements jugés insultants à l’égard des personnes souffrant de troubles psychiatriques.
Le défilé s’annonçait comme une petite révolution dans le monde de la mode. L’occasion de présenter un « nouveau Gucci », plus épuré, plus sexy, sous la houlette d’Alessandro Michele, cinq ans de maison et la volonté d’explorer de nouvelles directions. Après avoir imposé un style copieux et décoratif, place au minimalisme pour le couturier romain.
L’ouverture, anxiogène à souhait, donne le ton : lumière rouge, lever de rideau métallique, mannequins habillés dans des camisoles de force, bribes d’une conversation entre une femme et son psy. Une dénonciation d’une société normative dans laquelle les individus sont formatés, est-il précisé dans la note d’intention du défilé.
Mise en abyme
Quand soudain… l’un des mannequins montre ses mains, et sur ses paumes on peut lire, crayonné en anglais : la santé mentale, ce n’est pas de la mode. L’acte est si discret que certains journalistes pensent qu’il fait partie du show.
Sauf que non : il s’agissait en fait d’une protestation du mannequin Ayesha Tan-Jones contre l’utilisation par Gucci de l’univers de la psychiatrie. « Cet acte de courage n’est qu’un simple geste comparé au courage que les personnes avec des problèmes de santé mentale montrent tous les jours » a expliqué le mannequin sur son compte. Ayesha Tan-Jones, qui revendique sa non-binarité, a poursuivi en indiquant que ce choix esthétique était particulièrement vulgaire et insultant pour des millions de personnes, y compris dans sa propre famille.
Gucci a précisé par la suite que les modèles incriminés n’étaient pas destinés à la vente, rappelant que tout ceci faisait partie du décorum.
Extension du domaine du fashion faux-pas
Ce n’est pas la première fois que la marque italienne se voit accusée de porter atteinte à une certaine catégorie de population. En début d’année, Gucci mettait en ligne sur son site un pull camionneur noir dont la coupe (un trou entouré de rouge au milieu du col) avait l’heur d’évoquer le blackface, maquillage raciste du temps de l’esclavage. Tollé au sein de la communauté afro-américaine, appels au boycott. La marque s’est excusée et s’est dotée depuis d’un comité d’intellectuels pour aider ses créateurs à mieux comprendre l’environnement culturel dans lequel ils évoluent.
Jamais le public n’a été aussi sensible aux choix des créateurs. Jamais il n’a été autant en mesure de protester contre les choix qu’il estimait malvenus ou insultants. Sur Instagram se développent des comptes dont l’objet est de dénoncer le plagiat et les « dérapages » dans le monde de la mode, notamment les cas d’appropriation culturelle. C’est ainsi que Kim Kardashian a dû renoncer à baptiser une de ses lignes Kimono à la suite d’une vague de protestations venues du Japon. Ou que Stella McCartney s’est vu reprocher de n’avoir pas cité parmi ses inspirations un vêtement traditionnel camerounais.
Face à cette extension du domaine du fashion faux-pas, de plus en plus de marques décident de s’entourer de spécialistes issus des sciences humaines pour désamorcer en amont les sources de polémique potentielles. Manifestement, personne chez Gucci n’avait prévu que la contestation viendrait de l’intérieur à propos d’un choix de mise en scène qui se voulait lui-même un acte de dénonciation.