Comme l’a récemment rappelé la militante yézidie et prix Nobel de la paix Nadia Murad, les mesures de confinement ont favorisé une explosion des violences faites aux femmes, tout en rendant leur prise en compte par les divers services concernés plus difficile encore qu’avant la pandémie. Nadia Murad a fait de cette problématique la pierre angulaire de son action, comme en témoigne son engagement auprès des « Lai Dai Han », ces femmes vietnamiennes violées par des militaires sud-coréens dans les années 1970.
Augmentation exponentielle de la précarité, report des soins et opérations non-urgentes, détresse mentale et psychologique, mal-être des jeunes et étudiants, isolement des personnes âgées, etc. : depuis un an, la crise sanitaire et les diverses mesures de confinement et de distanciation sociale décrétées par les autorités de la quasi-totalité des pays au monde draguent dans leur sillage une quantité de phénomènes qui, pour êtres annexes à la pandémie, n’en sont pas moins meurtriers que le virus lui-même. Parmi ces conséquences délétères, les violences faites aux femmes ont enregistré, depuis le début de la crise, une hausse aussi inquiétante qu’invisible, largement sous-estimée tant par les médias que les décideurs politiques.
Des violences faites aux femmes invisibilisées par la crise sanitaire
C’est en substance le message qu’a tenté de délivrer l’activiste et prix Nobel de la paix (2018) Nadia Murad, qui s’exprimait au début du mois de décembre dernier à l’occasion d’un sommet virtuel de l’ONU intitulé « Verrouillés et enfermés : se dresser contre la violence sexuelle et la traite des êtres humains pendant la pandémie de Covid-19 ». Selon la jeune femme, d’origine yézidie, qui a été avec des milliers d’autres femmes et filles irakiennes capturées et contrainte à l’esclavage sexuel par les militants de l’État islamique, les mesures de couvre-feux, de confinement et les restrictions de voyage imposés par les gouvernements « ont eu des conséquences inattendues sur les femmes du monde entier ».
« Au lieu de réduire la traite des êtres humains et les violences sexuelles, la pandémie a augmenté le risque d’exploitation et de brutalités contre les plus vulnérables », a déploré la militante, selon qui « de nombreux pays ont enregistré une augmentation des signalements de violences domestiques depuis le début de la pandémie », et ce alors que l’obligation faite de rester chez soi détourne encore davantage le phénomène des yeux des médias et des forces de l’ordre. De plus, « les quelques ressources affectées à la prévention, au sauvetage et à la réhabilitation (des victimes) sont épuisées », a relevé Nadia Murad. « En conséquence, a conclu celle qui est aussi ambassadrice de bonne volonté des Nations Unies, la santé et la sécurité des femmes sont (plus que jamais) en jeu », d’autant plus qu’il est « maintenant difficile pour de nombreuses femmes d’accéder à un soutien psychologique et aux soins de santé » dont elles ont besoin.
Selon une autre des intervenantes de la réunion convoquée par Mme Murad, la pandémie de Covid-19 aurait précipité quelque 47 millions de filles et de femmes dans une situation d’extrême pauvreté. Une précarité grandissante, qui expose ces femmes au risque de se soumettre aux trafiquants en tout genre. Ainsi, 72% des victimes de traite détectées dans le monde sont des femmes, et 77% des survivantes identifiées ont été plus spécifiquement exploitées à des fins sexuelles – notamment en ligne. Si le phénomène n’est pas propre aux situations de crises, il explose dans les territoires en proie à des troubles, particulièrement en temps de guerre. Ainsi de ces centaines, voire milliers de jeunes femmes kurdes de la région syrienne d’Afrin qui auraient, à la suite de l’invasion turque du printemps 2018, disparu avant d’être déportées en Libye, où elles auraient été vendues comme esclaves sexuelles.
Nadia Murad aux côtés des « Lai Dan Han » Vietnamiennes
Elle-même meurtrie par les conséquences de la guerre – sa mère et ses six frères ont été tués par les combattants de Daesh –, Nadia Murad a, depuis qu’elle a échappé aux griffes de ses bourreaux, fait sa priorité de la défense des femmes et des jeunes filles victimes de violences en temps de conflit. C’est à ce titre que la récipiendaire du Prix Nobel s’engage, depuis plusieurs années, auprès des « Lai Dai Han », ces femmes vietnamiennes et leurs enfants nés des viols perpétrés pendant la guerre du Vietnam par les milliers de soldats sud-coréens engagés sur le terrain aux côtés des Américains. Plusieurs centaines d’entre elles sont toujours en vie aujourd’hui et elles réclament, en vain, la reconnaissance de leurs souffrances par Séoul. Elle-même ancienne esclave sexuelle, Nadia Murad a, par exemple, inauguré en 2019 une statue érigée à Londres en hommage à ces victimes méconnues d’un des conflits les plus sanglants du XXe siècle.
Un engagement qui contribue, selon la jeune militante, « à sensibiliser le public au sort des victimes vietnamiennes de la violence sexuelle alors qu’elles cherchent à obtenir reconnaissance et justice ». Dans le prolongement de son action, Nadia Murad a accepté de donner son nom au « Code Murad », un texte qui ambitionne de mieux encadrer la collecte de preuves de violences sexuelles commises lors des conflits armés. Une initiative bienvenue qui, alors que se profilent la fin de la crise sanitaire et la reprise probable des conflits de par le monde, sera, hélas, sans doute bientôt plus que jamais d’actualité.