Le confinement de la population pour juguler l’épidémie fait craindre une flambée des violences sexuelles à l’encontre des femmes dans certains pays, comme cela s’était déjà produit lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest il y a quelques années. En effet, les situations de crises sanitaires provoquent parfois des tensions et une loi du silence similaires à ce qu’on peut connaître dans les conflits armés.
L’épidémie mondiale de coronavirus laissera des traces durables, c’est entendu. Mais pas forcément celles auxquelles on s’attendrait, ni nécessairement les plus visibles. Alors que des milliards d’êtres humains sont sommés de se confiner chez eux pour ralentir la propagation du virus, les violences faites aux femmes et, plus particulièrement, les violences sexuelles, risquent en effet d’exploser, et avec elles leur cortèges de conséquences délétères. Déplorant une « horrible flambée de violence domestique », le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a ainsi, le 5 avril dernier, lancé un appel mondial à protéger les femmes et jeunes filles « à la maison ».
« Malheureusement, de nombreuses femmes et jeunes filles se retrouvent particulièrement exposées à la violence précisément là où elles devraient en être protégées. Dans leurs propres foyers », a encore déploré le chef des Nations Unies, invitant « tous les gouvernements à prendre des mesures de prévention de la violence contre les femmes et à prévoir des recours pour les victimes dans le cadre de leur plan d’action national face au Covid-19 ». Cette recrudescence des violences domestiques et sexuelles à l’encontre des femmes était pourtant prévisible, comme nous l’enseigne l’exemple récent de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest.
Une explosion des violences sexuelles pendant l’épidémie d’Ebola
En Guinée, Sierra Leone et au Liberia, pays frappés en 2016 par l’épidémie de fièvre hémorragique, la crise sanitaire s’est ainsi accompagnée d’une explosion des viols, agressions sexuelles et violences envers les femmes et les jeunes filles. En Sierra Leone, les grossesses adolescentes ont par exemple augmenté de 65 % au cours de l’épidémie, selon une étude des Nations Unies. En cause, le climat d’agitation et d’instabilité qui prévaut souvent lors de ces crises. Mais pas seulement : les mesures de confinement, de couvre-feux, les annulations de matches de football ou encore les fermetures de bars contraignent femmes et hommes à cohabiter plus souvent que d’habitude sous le même toit. La fermeture des écoles et marchés, la recherche de nourriture et l’absence subite de travail poussent également certaines femmes à vendre leur corps pour survivre.
« Il y avait tant de stress, tant de tension », se souvient auprès du site Slate Marie Harding, qui travaille dans un centre de soin du Liberia : « Les gens ne savaient pas quoi faire, où trouver à manger. Quand une fille n’est pas à l’école, quand elle est à la maison toute la journée et quand tout le monde est à la maison toute la journée, elle est en danger ». « Les épidémies sont identiques à des situations de conflit », abonde Monica Onyango, chercheuse à l’université de Boston : « Vous avez une lacune de gouvernance, vous avez du chaos et de l’instabilité. Autant de facteurs qui fragilisent les femmes face à la violence sexo-spécifique ». Selon Mme Onyango, « nous savons qu’en temps de guerre les jeunes filles et les femmes sont souvent victimes de violences sexuelles. (…) Il nous faut mieux documenter les viols et les agressions sexuelles qui surviennent pendant ou après une épidémie, car ils existent. Les femmes sont extrêmement vulnérables ».
Les Lai Dai Han demandent justice
En ce qui concerne les violences sexuelles, la crise sanitaire en Afrique de l’Ouest au moment de l’épidémie d’Ebola doit donc servir d’avertissement pour la vague de confinement qui recouvre actuellement le monde. Il faut surtout éviter qu’une chape de plomb s’abatte sur les victimes, comme c’est régulièrement le cas lors des conflits armés.
Le défi pour les organisations internationales de défense de droits des femmes, c’est donc de mettre en place dès à présent des mécanismes pour éviter et prévenir ces viols durant l’épidémie, mais aussi pour donner la parole aux éventuelles victimes une fois le confinement levé. Et ce, afin d’éviter que l’exclusion sociale, la culpabilité et la loi du silence empêchent le travail de la justice.
Car ces situations de silence forcé et de tabou peuvent durer des décennies, dans l’indifférence générale. C’est par exemple le cas des Lai Dai Han, enfants nés des viols massifs perpétrés lors des années 1970 par des soldats sud-coréens sur des femmes vietnamiennes. Épaulant les GI’s américains dans la région, des milliers de militaires de Séoul se sont ainsi livrés à des violences sexuelles sur d’innombrables femmes et très jeunes filles, donnant ainsi naissance à des enfants « de sang-mêlé » aujourd’hui encore rejetés par la société vietnamienne.
Un épisode historique méconnu en Occident, mais aussi au Vietnam et en Corée du sud, révélateur des difficultés à panser les plaies du passé si on laisse le voile de l’oubli couvrir la parole des victimes. Encore aujourd’hui, Séoul refuse de reconnaître les agissements de ses troupes il y a un demi-siècle. Depuis plusieurs années, une association, « Justice for Lai Dai Han », se bat aux côtés des quelques centaines de survivantes. Des victimes soutenues par Nadia Murad, la jeune yézidie et ancienne esclave sexuelle de Daesh, qui a obtenu le prix Nobel de la Paix et a donné son nom au « code Murad », un texte facilitant la collecte de preuves de violences sexuelles dans les situations de guerre.
Un combat contre le silence qui doit se mener aussi bien lors des conflits que durant les épisodes de crises sanitaires qui ne manqueront pas de se multiplier dans les prochaines décennies. « Ensemble, nous pouvons et devons empêcher la violence partout, dans les zones de guerre comme dans les foyers, tandis que nous nous efforçons de vaincre le Covid-19 », a ainsi déclaré, sur Twitter, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.