Bientôt arrivée à la fin d’un premier mandat marqué par un virage numérique réussi et le renforcement de l’information, Delphine Ernotte conserve de bonnes chances de se succéder à elle-même.
« Être utile, point barre » : à moins de deux mois de la fin de son mandat, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, s’est longuement confiée auprès du quotidien La Croix. Un entretien-vérité, au cours duquel, une fois n’est pas coutume, la patronne de l’audiovisuel public français lève un coin du voile entourant sa propre personnalité, son parcours, ses doutes et ses ambitions. Première femme propulsée à la tête du groupe public, Delphine Ernotte a, semble-t-il, bien conscience que la crise sanitaire et le confinement ont rebattu les cartes, tant en ce qui concerne le rôle et les missions de l’entreprise qu’elle dirige depuis 2015, qu’en ce qui touche à son propre avenir à la tête de France Télévisions.
« Comment être utile aux Français ? C’est la seule question que l’on s’est posée pendant la période de confinement (…) et 100% des décisions ont été prises en ce sens, sans souci d’audience », analyse la dirigeante, selon qui il restera « de cet élan partagé une sorte de joie et de fierté d’avoir tous réussi à faire tourner la maison dans des conditions exceptionnelles ». Interrogée quant à sa possible reconduction aux manettes du groupe, Delphine Ernotte balaie le sujet : « je ne suis pas obsédée par la fin de mon mandat. Je sais que cela peut s’arrêter et je ne veux pas être empêchée d’agir par la peur de ne pas être réélue », affirme celle qui confesse n’avoir « pas beaucoup de regret ».
Un bilan honorable
Delphine Ernotte peut, en effet, se targuer d’un bilan plus qu’honorable. Sa présidence a ainsi coïncidé avec un renouveau de l’information de service public, avec le lancement, un an après son élection, de la chaîne France Info, et le succès sans précédent de la plateforme numérique du même nom, qui s’est rapidement imposée comme le premier média d’information du pays, cumulant plus de 20 millions de visiteurs uniques par mois. Au cours de son mandat, le 20 heures de France 2, historiquement à la traîne de son concurrent de TF1, a par ailleurs réussi l’exploit de resserrer l’écart séparant les deux journaux télévisés à quelques centaines de milliers de téléspectateurs, contre plusieurs millions auparavant.
Le mandat de Delphine Ernotte a également signé une accélération du numérique, sujet sur lequel le groupe public accusait un certain retard avant sa prise de fonction : regroupement autour d’une marque unique – France TV –, lancement de la future plateforme de SVOD Salto et de Slash, entièrement dédiée aux jeunes adultes, etc. Enfin, Mme Ernotte a fait du développement de la fiction et des séries l’une de ses principales priorités, augmentant les investissements dans le domaine de 20 millions d’euros par an. Autant de choix qui ont permis de rajeunir le public du groupe et de raffermir l’ancrage populaire de son audience.
Quel que soit son sort prochain, Delphine Ernotte laissera par ailleurs sa marque en interne. Son passage à la tête de France Télévisions restera synonyme d’une gestion financière rigoureuse, l’entreprise renouant, dès 2015, avec l’équilibre budgétaire. Le plan d’économies de 400 millions d’euros par an et la réduction de 10% des effectifs décidés par le gouvernement auront réussi à éviter la casse sans dégrader le climat social. À ces efforts doivent être enfin ajoutés la féminisation à marche forcée des antennes du groupe et des progrès louables en matière de transparence et de lutte contre la corruption.
Une des dernières femmes en France à ce niveau de responsabilités
Un bilan, aussi bon soit-il, ne suffit cependant pas à assurer une quelconque réélection – les femmes et hommes politiques en savent quelque chose. Si la question de la reconduction de Mme Ernotte à la tête de France Télévisions ne se posait pour ainsi dire pas avant la crise sanitaire, la mise entre parenthèses de la grande réforme de l’audiovisuel a changé la donne, et les impétrants se bousculent désormais au portillon. Une concurrence ordinaire à ce niveau de responsabilités, contre laquelle l’actuelle patronne du groupe public va pouvoir faire valoir sa gestion, unanimement saluée, de la période de crise sanitaire – les chaînes de France Télévisions s’étant, du jour au lendemain et sans aucune préparation préalable, peu ou prou transformées en « instituteurs à distance » pour des millions de bambins privés d’école.
Seule et unique – et presque dernière, après l’éviction d’Isabelle Kocher de la tête d’Engie en début d’année – femme à diriger un tel mastodonte économique dans l’Hexagone, Delphine Ernotte pourrait, enfin, bénéficier d’une forme de prime à la parité. Elle sera fixée d’ici à la fin du mois de juillet.