Venue témoigner de l’agression sexuelle dont elle affirme avoir été victime de la part de Pierre Joxe, Alexandra Besson s’est vue sévèrement recadrer par la juge en charge du dossier. Une « agressivité » perçue comme indécente, alors que la France vient d’être épinglée par le Conseil de l’Europe pour ses lacunes en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
En mars 2010, Alexandra Besson, écrivaine connue sous le pseudonyme d’Ariane Fornia et fille de l’ancien ministre Eric Besson, assiste à une représentation d’un opéra de Wagner à l’Opéra-Bastille. A sa droite, un autre ancien ministre, Pierre Joxe, accompagné de sa femme. L’homme, figure de la gauche mitterrandienne, bardé de décorations, croulant sous les honneurs, est une « statue vivante ». Pas si statufié que cela cependant, à en croire Alexandra Besson, qui l’accuse de gestes déplacés, le « vieux monsieur à l’air éminemment respectable » ayant à plusieurs reprises posé sa main sur sa cuisse, remonté sa jupe et tenté d’atteindre son entrejambe. La jeune femme repousse ses assauts, plante ses ongles dans sa main, étouffe un cri, change de place.
Elle ne portera pas plainte, en dépit des conseils de son père dans ce sens. Pourquoi ? L’exposition médiatique de ce dernier à l’époque (il était ministre du gouvernement Fillon, sous Sarkozy), l’en dissuade. Quand explose l’affaire Weinstein, en 2017, sa parole se libère, elle relate l’agression sexuelle dont elle se dit victime dans un billet de blog. Pierre Joxe est « stupéfait », nie en bloc, finit, en janvier 2018, par assigner la jeune femme en diffamation.
On ne connaitra pas avant le 22 janvier prochain le délibéré du procès qui s’est tenu ce 18 novembre devant le tribunal de Paris. Ce que l’on sait en revanche, c’est que durant l’audience, ni Pierre Joxe ni Alexandra Besson n’ont modifié d’un iota leurs versions. Le premier s’est drapé dans sa dignité d’ancien ténor de la politique, y allant même de citations de Cicéron en latin (difficile de faire plus respectable). La seconde, appuyée par son père, a réitéré ses accusations, simple et émue. Avant d’expliquer que la culpabilité et la honte l’ont, à l’époque, plongée dans un état de torpeur maladif : « On ne pouvait plus me toucher. J’ai pris plus de vingt kilos en quelques mois. Je cachais mon corps. »
Une juge « inutilement agressive »
Ce récit est-il entaché de mythomanie ? Ce n’est pas ce que pense la psychiatre venue témoigner, qui estime Alexandra Besson crédible. S’il est trop tôt pour savoir ce que pense, de son côté, la juge Florence Lasserre-Jeannin de cette affaire, certains journalistes présents durant l’audience n’ont pas manqué de souligner son peu d’empathie à l’égard de la jeune femme. Journaliste pour France Inter, Corinne Audouin déplore ainsi que la magistrate se soit montrée « inutilement, insupportablement agressive avec la défenderesse ».
Mais le comble a sans doute été atteint lorsque Florence Lasserre-Jeannin a demandé, sur le ton du reproche, comment Alexandra Besson n’avait-elle pas reconnu Pierre Joxe – elle écrit en effet, dans son billet de blog, avoir dû demander à l’officier de sécurité d’Eric Besson qui était cet homme, avant de vérifier sur Google qu’il s’agissait bien de lui.
« Comment n’avez-vous pas reconnu Pierre Joxe ? Vous n’avez jamais regardé les infos à la télé ? Vous faisiez des études ! », s’exclame ainsi la juge Lasserre-Jeannin. Non, elle ne faisait pas d’études, elle avait trois ans lorsque Pierre Joxe a cessé d’être ministre pour retourner à son relatif anonymat de haut-fonctionnaire puis d’avocat. Trois ans lorsqu’il a disparu des médias. Et si son conseil, Maitre Dupeux, présente volontiers son client comme une « icône », il nous accordera qu’il ne s’agit pas non plus de Johnny Hallyday, et que son rayonnement auprès des trentenaires ou moins flirte probablement avec le néant.
En s’étonnant de ce qu’Alexandra Besson n’ait pas reconnu Pierre Joxe, la juge en charge de l’affaire, on l’aura compris, cherche à éprouver la crédibilité du témoignage de l’écrivaine, en le questionnant sur ce qu’elle considère comme sa principale incohérence. La magistrate commet ainsi deux fautes.
La première, professionnelle, consiste à nier la subjectivité d’Alexandra Besson pour envisager son récit des évènements avec ses propres « lunettes », inhérentes à sa profession et à son âge. Si Pierre Joxe est à n’en pas douter une « rockstar » auprès des membres du barreau nés avant 1980, il n’en demeure pas moins un parfait inconnu pour l’écrasante majorité des personnes nées après. Un sondage dans la première fac venue permettrait sans doute de le vérifier.
La seconde, morale, peut-être plus grave, a trait à l’hostilité manifeste qu’elle témoigne à la défenderesse. En se montrant « agressive » à l’encontre de la fille d’Eric Besson, pourtant venue témoigner de faits graves dont elle affirme avoir été victime, la juge renvoie un message effroyable à toutes les femmes victimes d’agressions sexuelles, les invitant implicitement à garder le silence. Une attitude pour le moins dissonante, alors qu’aura lieu le 23 novembre une grande marche « contre toutes les violences sexistes et sexuelles », à l’initiative du collectif #Noustoutes.
Contribution proposée par Francoeur